C’est vraisemblablement dans les années 20 que le Sacré de Birmanie sort de l’anonymat. Mais ses origines exactes sont encore inconnues, cachées derrière des légendes, des suppositions et encore un certain nombre de questions. Les hypothèses divergent… Dès les années 30, pourtant peu après la première apparition des Birmans en France, la question se pose. Les recherches généalogiques ne sont pas non plus facilitées par le fait que les premiers affixes officiels français ne sont déposés qu’en 1932 : les « affixes » d’auparavant ne correspondent pas à une chatterie en particulier.
Le Sacré de Birmanie est quelquefois désigné comme « le chat de race français », tout comme le Chartreux. En tout cas, originaire de Birmanie ou non, ce chat a un historique fortement lié à la France, là où son développement en tant que chat de race commence vraiment.
Il y a d’abord la légende, qui a au moins le mérite d’ajouter au charme de cette race, à défaut d’apporter une explication… En voici la première version.
« En ce temps-là, dans un temple bâti au flanc du mont de Lugh, vivait en prières le vénérable Kittah Mun-Hà, grand lama précieux entre les précieux, celui dont le dieu Song-Hio lui-même avait tressé la barbe d’or…
Pas une minute, pas un regard, pas une pensée de son existence qui ne fût consacrée à l’adoration, à la contemplation au pieux service de Tsun-Kyanksé. Cette divinité au corps doré et aux yeux couleur saphir était la déesse de la transmigration qui avait le pouvoir de réincarner les fidèles Kittah en un animal sacré après leur mort afin qu’ils puissent revivre la durée de son existence animale avant de reprendre un corps auréolé de la perfection totale et sainte des grands prêtres.
Auprès de lui méditait Sinh, son cher oracle, un chat tout blanc, dont les yeux étaient jaunes, jaunes du reflet de la barbe d’or de son maître et du corps dorée de la déesse aux yeux de ciel…
Or, un soir, comme la lune malveillante avait permis aux Phoums maudits venus de Siam de s’approcher de l’enceinte sacrée, le grand prêtre Mun-Ha, sans cesser d’implorer les destinées cruelles, entra doucement dans la mort ayant à ses côtés son chat divin et sous les yeux le désespoir de tous ses kittahs accablés…
C’est alors que se produisit le miracle…le miracle unique de la transmutation immédiate : d’un bond, Sinh fut sur le trône d’or et se jucha sur la tête de son maître affaissé… Il s’arc-bouta sur cette tête chargée d’ans et qui, pour la première fois, ne regardait plus la déesse…Et comme il restait à son tour figé devant la statue éternelle, on vit les poils
hérissés de son échine blanche devenir soudain jaune d’or. Ses pattes, son museau, ses oreilles, et sa queue majestueuse devinrent brun, couleur de la Terre. La déesse donna à Sinh ce qu’elle avait de plus beau: ses yeux devinrent d’un bleu saphir, intense et profond. Enfin, seuls les pieds de Sinh, posés sur le corps du moine restèrent d’un blanc candide, symbole de pureté. Et comme il tournait doucement la tête vers la porte du sud, ses quatre pattes, qui touchaient le crâne vénérable, devinrent d’un blanc éclatant, jusqu’à l’endroit que recouvrait la soie des vêtements sacrés. Et comme ses yeux se détournaient de la porte sud, les Kittahs, obéissant à cet impératif regard, chargé de dureté et de lumière, se précipitèrent pour fermer sur le premier envahisseur les lourdes portes de bronze.
Le temple fut sauvé de la profanation et du pillage…
Après avoir veillé une semaine sur le corps de son maître, sans manger ni boire, Sinh mourut à son tour, emportant vers le dieu Song Hio, l’âme de Mun Ha, trop parfaite désormais pour la terre. Quand les moines survivants à ce massacre se réunirent afin d’élire le successeur de Mun Ha, tous les chats du monastère entrèrent dans la salle.
Tous étaient vêtus d’or et gantés de blanc, et tous avaient changé en saphir profond le jaune de leurs yeux. Tous en silence se tournèrent vers le plus jeune des kittahs, Ligoa, que désignaient ainsi les ancêtres réincarnés par la volonté de la déesse…
Et maintenant, précisa la conteuse, quand meurt un chat sacré au temple de Lao-Tsun, c’est l’âme d’un kittah qui reprend à jamais sa place au paradis de Song-Hio, le dieu d’or. Mais malheur aussi, conclut-elle, à celui qui hâte la fin d’une de ces bêtes merveilleuses, même s’il ne l’a pas voulu. Il souffrira les plus cruels tourments jusqu’à ce que s’apaise l’âme en peine qu’il a perturbée… »
L’origine véritable et précise du Sacré de Birmanie est donc toujours inconnue. Certains pensent qu’il est bien originaire de Birmanie (du nord-est précisément, de la région de Bhamo où l’on trouve d’ailleurs un village du nom de Law Sun) où il existerait de façon naturelle, d’autres que la race a été « fabriquée » par l’homme en France, par le biais de croisements entre Siamois et Persans.
Le mystère des origines de la race s’épaissit d’autant plus que certains voyageurs et habitants de la Birmanie auraient affirmé avoir rencontré des chats ressemblant au Sacré de Birmanie à l’état sauvage, tandis que d’autres y vivant de longue date n’en n’auraient jamais vus !
S’ajoutent à cela les différentes versions que l’on a du récit de l’arrivée des premiers Birmans en France : il y aurait presque de quoi perdre son latin.
Une première version raconte que Sir Russel Gordon, un major anglais (la Birmanie étant alors sous domination britannique) et l’explorateur Auguste Pavie auraient ramené deux chats que lui avaient offerts les Kittahs, pour les avoir protégés durant une période de révoltes tribales et religieuses. Or, les dates auxquelles ces révoltes auraient eu lieu portent elles-mêmes à confusion. Il semble que cela se situe autour de 1898, mais d’autres sources mentionnent les années 1916 ou 1919. Les premiers Birmans seraient arrivés en France autour de 1919 et ces deux dernières dates y correspondraient donc davantage, car les deux hommes auraient dû attendre 21 ans avant de recevoir les chats. Il y aurait une variation de cette même version selon laquelle l’attente s’expliquerait par la nécessité préalable pour les Kittahs d’assurer la descendance de leurs animaux après la période de révolte.
Le personnage de Major Sir Russel Gordon a lui-même attisé la curiosité de passionnés de la race. Selon les recherches d’Alwyn Hill, éleveuse britannique, il n’y a aucune trace d’un Major Russel Gordon dans l’armée britannique, ni d’un Russel Gordon portant le titre de « Sir ». Elle a cependant recueilli quelques informations sur un Major Ramsay Frederick Clayton Gordon ayant officié à Bhamo, à une période correspondant avec les données précédentes. Quant à Auguste Pavie, il semblait surtout familier des chats Siamois et son implication par rapport au Birman reste floue.
Des notes attribuées à Russel Gordon ont notamment été utilisées dans des documents rédigés par le Dr Philippe Jumaud, président du Cat Club de France fondé en 1910, qui consacra plusieurs articles, livres et thèses au chat de race. Mrs Hill a supposé que le nom de Russel Gordon en lieu et place de Ramsay Gordon était dû à une erreur du Dr Jumaud, comme il en arrivait parfois, et que le qualificatif de « Sir » lui était simplement attribué par les soldats. Il semble qu’on ne puisse être sûrs de rien quant à cette histoire !
Voici un extrait des notes du fameux Russel Gordon :
« Après la rébellion et l’occupation anglaise, à la base de Bhamo (base très isolée et éloignée de Mandalay), nous avons dû protéger les kittahs d’une invasion par les Brahmins, et nous les avons sauvés d’un massacre assuré et préservés du pillage. Leur Lama-kittah me reçut, et me montra une plaque représentant le Chat Sacré aux pieds d’une
étrange divinité aux yeux faits de deux longs saphirs. Après m’avoir montré les chats sacrés, au nombre d’environ cent, il m’expliqua leur origine. » S’ensuit le récit d’une légende par le kittah.
« La légende est jolie, mais n’explique rien d’un point de vue scientifique. On pourrait penser que le chat Birman est une très ancienne race, mais il sera, je pense, difficile d’obtenir une quelconque preuve au sujet d’une race si rare qu’aucun éleveur ou auteur des deux continents avec lesquels j’ai correspondu au cours des trente dernières années n’en n’a rien de plus qu’une vague idée, et ne les connait que par les écrits d’Auguste Pavie et de moi-même. »
La famille du petit-fils de Ramsay Gordon (si lui et Russel Gordon ne font bien qu’un) n’est, selon Alwyn Hill, pas en possession de cette fameuse plaque. Son fils se rappelle que la famille (qui à l’époque passait une partie de l’année en France, près de la ville natale d’Auguste Pavie) avait des chats Siamois, mais ne sait plus si son propre père avait un intérêt particulier envers eux. Il n’est donc pas possible d’avoir une quelconque confirmation.
Si tant est que Mr Gordon a existé et que ses notes sont authentiques, aurait-il donc bien rencontré ces « chats sacrés » (qu’il décrit semblables aux Siamois en couleur, mais à poils longs et gantés de blanc), sans pour autant en ramener un représentant ?
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’une thèse du Dr Jumaud datée de 1925 se base sur une autre version pour expliquer le départ des Sacrés de Birmanie de leur pays natal, mais il fait bien référence aux notes de Mr Gordon dans des écrits suivants, sans pour autant le nommer comme premier « importateur ». Certains passionnés estiment que cette deuxième version est plus plausible que la précédente.
Selon cette version, Mr Vanderbilt, un millionnaire américain, aurait été en croisière dans l’Est. Il aurait obtenu un mâle et une femelle volés par le biais d’un serviteur infidèle du temple de Lao-Tsun. La thèse de 1925 ne mentionne cependant que le nom de Vanderbilt, sans véritablement entrer dans les détails.
Les deux versions se rejoignent au moment où les chats prennent la route de l’Europe : dans les deux cas, on raconte que le mâle mourut accidentellement durant la traversée, mais que la femelle, du nom de Sita, survécut et, par chance, était gestante. On peut par contre se questionner sur le fait que les chats soient arrivés en France, et non en Amérique d’où serait originaire Vanderbilt.
Là où le « cas Vanderbilt » s’obscurcit encore, c’est lorsqu’en 1927 le Dr Jumaud précise les circonstances en mentionnant le fait que les chats aient probablement été volés (jugeant les prêtres peu enclins à vendre leurs animaux), mais cette fois-ci l’acquéreur n’est plus Mr Vanderbilt, mais une certaine Mme Thadde Hadisch en France ! Mr Vanderbilt pourrait encore les lui avoir donnés…
Sita aurait donné naissance à sa portée à Nice, en 1920. C’est dans cette portée que serait née la célèbre Poupée de Madalpour, véritable modèle du Sacré de Birmanie de l’époque. Comme elle ne pouvait être mariée à un chat de sa race, elle fut apparemment accouplée à un « chat du Laos », qui n’était probablement rien d’autre qu’un Siamois. Le mystère s’épaissit encore lorsque Marcel Reney rapporte avoir contacté le supposé propriétaire de ce fameux chat, qui a seulement répondu posséder des chats Siamois aux origines inconnues, et qu’il ne savait rien à propos d’une
« Mme Thadde Hadisch ».
Le Birman est reconnu en France en tant que race dès 1925. Le nom de « Sacré de Birmanie » devient officiel en 1950, renforçant le côté « magique » de la race et évitant la confusion avec le chat Burmese (« Birman » en Anglais), une race de robe sepia originaire d’Asie.
En 1926, Poupée rencontre un certain succès à l’exposition de Paris, présentée par une certaine Mme Léotardi, une éleveuse qui apparaît sur quelques archives de journaux pour avoir remporté des prix en exposition. Il semble qu’elle ait obtenu des chats de Mme Hadisch. Selon Marcelle Adams, ce serait Mme Léotardi qui aurait raconté l’histoire du Sacré de Birmanie comme le Dr Jumaud et l’éleveur Baudoin-Crevoisier l’ont écrite.
En 1931, Mr Baudoin-Crevoisier, l’un des plus célèbres éleveurs de l’époque et d’ailleurs encore l’un des premiers, présente Dieu d’Arakan en exposition. Son succès a fait que l’on se souvient aujourd’hui encore comme l’un des meilleurs Birmans des années 30. Sa généalogie est cependant inconnue et Mr Baudoin finit par arrêter l’élevage en 1933.
Il y a globalement peu d’informations sur les Birmans des années 30. On sait qu’afin de limiter la consanguinité et assurer la pérennité de la race, des croisements ont eu lieu avec des Siamois, dont certains a priori gantés comme il en naît de temps en temps et des chats à poil mi-long. Une hypothèse parfois retenue quand aux origines du Birman pointe d’ailleurs vers un croisement entre un Siamois ganté et un Persan dès le départ. Mais les origines du Sacré de Birmanie demeurent recouvertes d’un voile impénétrable…
Suite à la Seconde Guerre mondiale, le Sacré de Birmanie faillit disparaître, ne laissant que peu de représentants survivants. Des documents généalogiques ont par ailleurs probablement été détruits durant cette période, accroissant la difficulté d’avoir des informations sur les différentes étapes des mariages faits dans les années précédentes. Le bâtiment du L.O.F., alors tenu par le Cat Club de Paris, a lui-même été détruit.
La grande majorité de nos pedigrees actuels remontent vers le couple Orloff de Kaaba / Xenia de Kaaba appartenant à Mme Boyer, qui ont grandement contribué au redémarrage de la race. Mme Chaumont-Doisy, chatterie de Madalpour (affixe non lié aux premiers « Madalpour » puisque les premiers affixes officiels ne datent que des années 30) réussit aussi à sauver quelques-uns de ses chats. Des lignées allemandes participèrent également à ce redémarrage, avec l’apport de sang Persan et Siamois.
Grâce à la sélection des éleveurs, le Sacré de Birmanie put renaître de ses cendres, avec des croisements pour renforcer le pool génétique lorsque nécessaire, mais tout en restant dans une optique de sélection rigoureuse afin de récupérer le « look birman » par la suite, et d’améliorer les gants qui faisaient parfois défaut aux premières générations issues de ces croisements.. Auparavant exclusivement seal point, la race voit naître le premier blue point connu en 1957. La transmission de l’allèle de dilution a probablement ensuite été favorisée par les croisements occasionnels.
Des élevages nés dans les années 50/60, aujourd’hui célèbres, reprirent le flambeau des lignées survivantes, dont la chatterie de Crespières de Simone Poirier, la chatterie de Khlaramour, du Clos Fleuri, de Lugh…
Le redémarrage accompli, le Sacré de Birmanie put ensuite commencer à véritablement s’exporter dans le reste du monde, et se réimplanta dans les quelques pays limitrophes de la France où l’on trouvait déjà une poignée de sujets avant la guerre.
Les premiers Sacrés de Birmanie à fouler le sol américain arrivent en 1959 importés par John Seipel, en 1965 pour l’Angleterre grâce à Elsie Fisher et Margaret Richards.
Simone Poirier espérait d’ailleurs avoir trouvé une véritable souche asiatique de Birman lorsque Mme Griswold, une des premiers éleveuses américaines et bien connue, la contacta au sujet de ses « Chats de temple tibétains » étrangement semblables au Sacré de Birmanie, et qui lui avaient été offerts par un ami vivant au Cambodge, en 1960. Lorsque Mme Poirier prit elle-même contact avec ce dernier afin d’obtenir un éclaircissement, elle apprit que les parents de ces chats avaient tout simplement été achetés à une éleveuse française alors en poste au Cambodge !
La palette de couleurs de la race s’étendit progressivement. Le premier programme pour l’introduction du chocolat et du lilac débute en 1974, le premier pour le red et le tortie en 1975, puis le tabby dans les années 80. Les années 90 voient démarrer le travail pour le smoke et le silver tabby. L’ensemble de ces couleurs est désormais bien intégré à la race et ont chacune leur lot de chats de qualité, bien qu’il reste encore du chemin à parcourir pour mieux faire connaître le smoke et le silver tabby. Plus récemment, le cinnamon et le fawn ont également fait l’objet de programmes d’introduction. Ces couleurs sont actuellement toujours en développement, et les chats porteurs de cinnamon restent rares.
Il existe une lignée de Birmans caramel, couleur qui n’est pour l’heure reconnue pour aucune race par le LOOF. Le gène Dm associé à cette couleur pourrait avoir été introduit de façon involontaire par un croisement dont il ne s’agissait pas du but premier, et remontant à maintenant un certain nombre de générations.