Les autres alopécies généralisées héréditaires

La nudité ou alopécie généralisée est retrouvée dans d’autres races de chats ainsi que dans d’autres espèces. Elle est souvent présentée avec l’hypotrichose qui correspond à la diminution ou à l’arrêt du développement du système pileux alors que l’alopécie se définit par l’absence complète de poils dans une zone du corps habituellement poilue (Mecklenburg, 2006). Ici seront détaillées les alopécies et hypotrichoses étendues et dont la transmission est héréditaire. 

Chez le chat

La première observation rapportée de chat nu a eu lieu au Nouveau Mexique en 1902 par un couple, Mr et Mme Shinick ayant reçu deux chats survivants d’une race de chats nus dits Aztèques ( MESSYBEAT », 2002) (Figure 8). Ces deux chats possédaient des moustaches et une ligne de poils le long de la colonne vertébrale en hiver. Ce couple n’a pu donner naissance à une race suite au décès du mâle avant la maturité sexuelle. Le professeur Letard en a conclut que cette race semblait éteinte (Letard, 1938). 

Figure 8. Portrait du couple de chats nus mexicains

Notez la présence des vibrisses bien développées.

Source :  MESSYBEATS , 2002 

Un autre couple de chats nus fut présenté en exposition féline à Paris en 1930, issu de deux mères différentes vivants dans la même rue, ce qui fit dire à Letard que « ces deux sujets étaient sans doute du même père » (Letard, 1938). Ces deux chats moururent de cause accidentelle sans descendance.

À partir de 1935, le professeur Letard développa une lignée de Siamois nus (Figure 9) à partir d’un couple de géniteurs de phénotype normal, mais produisant des chatons nus et normaux. L’accouplement des parents avec d’autres Siamois de phénotype normal n’ayant produit que des chatons normaux, il en déduisit une transmission sur le mode récessif. Grâce à des accouplements raisonnés entre les parents et les descendants nus, il réussit à fixer la mutation

et à créer une « souche Parisienne » de chats nus (Letard, 1938). On pourrait penser que la chatte Sacré de Birmanie française à l’origine de la lignée étudiée en 1984 par Hendy-Ibbs avait pour ancêtre un des Siamois nus de Letard. En effet la race Sacré de Birmanie a été reconstituée après la Seconde Guerre Mondiale par croisement avec des Siamois et des Persans. Cette hypothèse est très peu probable, en effet les Siamois de Letard survivaient jusqu’à l’âge adulte et présentaient une pilosité presque normale à la naissance (Letard, 1938). Il s’agirait donc de deux mutations récessives différentes (Hendy-Ibbs, 1984).

Figure 9. Chats Siamois de Letard, adultes et chatons

Notez les longues moustaches sur les adultes et le duvet fourni sur le dos du chaton.

Source : LETARD, 1938

En 1966 au Canada et en 1975 aux États-Unis naquirent deux lignées de chats nus à l’origine de la race Sphynx ou « Canadian hairless ». C’était la première fois qu’un véritable programme d’élevage organisé d’une race de chats nus était mis en place. Les chats Sphynx ont une peau épaisse, très plissée sur la tête et parfois couverte d’un enduit salissant de couleur foncée qui peut s’accumuler entre les doigts et à la base des griffes. Le Sphynx (Figure 10) n’est pas totalement nu, des poils lisses, courts et fins forment un fin duvet sur certaines parties de son corps comme le bas des pattes, le bout du nez ou la queue. Cependant les cils et vibrisses sont souvent totalement absents. Les zones couvertes de duvet sont variables d’un individu à l’autre et peuvent également évoluer dans le temps, avec l’âge et les saisons (Prêtre, 2009).

Figure 10. Portraits de trois Sphynx adultes

La nudité paraît totale sans un examen plus poussé.

Source : PRÊTRE, 2009.

La mutation du Sphynx est également à transmission autosomique récessive. Le phénotype du Sphynx étant très éloigné de celui affiché par les Birmans « nude », il s’agit de deux mutations différentes : la mutation « nude » et la mutation « Canadian hairless ».

En 2010 une mutation d’un nucléotide dans le site d’épissage en 3’ de l’intron 4 du gène de la kératine 71 (KRT71) a été identifiée chez le Sphynx comme étant à l’origine du phénotype « hairless » (Figure 11). Une autre mutation dans ce même gène a été identifiée comme étant à l’origine du phénotype « curly » ou « rex » des chats de race Rex Devon (Gandolfi et al., 2010). Les Sphynx hétérozygote KRT71hr/KRT71re pour la mutation présentant un  phénotype « hairless », il a été établit que la mutation du Sphynx était dominante sur celle du Rex Devon, les deux étant récessives sur l’allèle sauvage : KRT71+>KRT71hr>KRT71re (Gandolfi et al., 2010).

Figure 11. Épissage anormal du gène KRT71 suite à la mutation hairless chez le Sphynx

Sur l’ADN génomique en (a) le losange représente la mutation d’un nucléotide (G/A) en position +1 de l’intron 4 provoquant une erreur d’épissage avec l’insertion de 43 paires de bases (pb) et d’un codon STOP entre les exons 4 et 5 dans l’ADNc (complémentaire)chez les chats Sphynx. En (b) est présenté l’ADNc normal et en (c) l’ADNc muté du chat Sphynx.

Source : GANDOLFI  et al., 2010

La kératine 71 est une kératine de type II. Elle est exprimée dans la gaine interne du poil chez la souris et l’humain (Figure 12) (Aoki et al., 2001). Les kératines de types II sont plus basiques et de plus haut poids moléculaire que les kératines de type I avec lesquelles elles participent à la formation des filaments de kératines(« Keratin type II », 2011). Il a été montré que des mutations dans le gène de la kératine 71 provoquaient des anomalies dans la forme du follicule pileux, la gaine interne étant essentielle à son développement et à sa tenue (Genovese et al., 2014). La mutation KRT71hr serait à l’origine d’une perte de fonction totale de la protéine qui provoquerait une grave anomalie de la structure du follicule pileux. La protéine issue de KRT71re conserverait une activité résiduelle et aboutirait à la formation de poils bouclés, typique du phénotype Rex. 

Figure 12. Expression de la kératine 71 dans la gaine interne du follicule pileux

Notez la présence de la kératine 71 dans les couches de Huxley (Hu) et de Henle (He) de la gaine interne du follicule pileux.

a-e : incubation avec anticorps anti-kératine 71 ; f : témoin.

Co : cortex, ORS : gaine externe du follicule pileux.

Source : AOKI et al., 2000

Le Sphynx du Don ou Donskoy présente comme le Sphynx un phénotype nu (dans sa variété nue, deux autres variétés velours et brush existant dans cette race) mais est originaire de Russie et non du Canada. Contrairement à la transmission récessive de la mutation chez le Sphynx, l’alopécie du Donskoy est transmise sur un mode semi-dominant avec des interactions possibles avec d’autres gènes. Il a été montré que le gène de la kératine 71 n’intervenait pas dans le phénotype nu du Donskoy, une mutation sur un autre gène, non connu à ce jour, serait à l’origine de cette alopécie (Dierks et al., 2013).

Notons enfin, qu’il existe une troisième race de chats nus reconnue en France : le Peterbald. Cette race est issue du croisement de Donskoy et d’Orientaux (« LOOF », 2015). Le Peterbald porte donc la mutation du Donskoy.

Chez les mammifères domestiques

Les différents phénotypes de nudité, isolée ou syndromique, décrits jusqu’à présent chez les mammifères domestiques sont présentés dans le Tableau 1. Certains mammifères étant à la fois des animaux de compagnie et des animaux de laboratoire (rat, cobaye par exemple), ils seront indiqués dans ce tableau, à l’exception de la souris qui fera l’objet d’un tableau à part.

La majorité de ces cas d’hypotrichose complète ou partielle n’était pas associée à une mortalité précoce comme c’était le cas chez le Birman, à l’exception de la nudité létale des bovins Holstein et des syndromes de nudité observés chez le Cobaye et le Hamster Doré. Ces deux derniers associant une hypotrichose congénitale et une athymie étaient très semblables à ce que l’on retrouvait chez les souris appelées nude mais la mutation en cause n’a pas été mise en évidence (Haddada et al., 1982).

Source thèse Charlotte Marie Isabelle BINEAU – 2016

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