Calicivirose féline

Par Pierre GANIERE* et Marianne FONTAINE** 

« Professeur Pathologie Infectieuse, Foule Nationale Vétérinaire de Nantes »
Docteur vétérinaire, Service Technique Merial

Texte proposé par Danielle & Gerard – Chatterie du HautSartoux – http://www.wildcat-services.com
avec leur aimable autorisation

Les calicivirus félins sont des agents pathogènes particuliers à plus d’un titre. Ils présentent une capacité de mutation qui conduit à des souches différentes et donc à des formes cliniques variées. Ils constituent l’une des étiologies possibles du syndrome coryza du chat, mais peuvent également provoquer des pneumonies, des arthrites, des atteintes neurologiques, des avortements et une forme virulente systémique mortelle. Ils sont aussi incriminés en tant que co-facteur dans l’étiologie de la gingivo-stomatite chronique. Il existe un statut de porteur asymptomatique, après une forme clinique ou non, qui entretient leur persistance, en particulier dans les collectivités. En l’absence de traitement spécifique, la thérapie repose sur l’utilisation d’antibiotiques luttant contre les surinfections et sur l’administration d’anti-inflammatoires pour améliorer le confort du malade. Il s’agit de l’une des valences principales dans les programmes de vaccination destinés aux chats. 

Introduction

Le calicivirus félin a été identifié précocement dans le syndrome coryza du chat, en même temps que l’herpès virus. La vaccination est disponible depuis plusieurs dizaines d’années mais la prévalence de l’infection par les calicivirus reste élevée. Cette particularité est maintenant bien comprise, du fait de la nature même de ces virus.

Etiologie

Le calicivirus félin (en anglais FCV, pour Feline CaliciVirus) est un petit virus (35 mu) non enveloppé et classé, au sein de la famille des Caliciviridae, dans le genre Vesivirus appartenant à un unique sérotype. 
Il s’agit d’un virus à ARN monocaténaire, enfermé dans une capside formée d’unités morphologiques composées d’une seule protéine structurale nommée VP1. L’ARN est directement traduit dans le cytoplasme cellulaire.
Le mécanisme de réplication peut facilement donner lieu à des erreurs lors de la synthèse des brins complémentaires d’ARN. Cela conduit à l’apparition de calicivirus mutants, qui peuvent donner lieu éventuellement à des formes cliniques inhabituelles.
L’analyse du gène codant pour la VP1 permet en fait d’identifier deux régions hypervariables (désignées C et E) contenant la plupart des épitopes neutralisants (donc intervenant dans l’imm ¢cité du virus). Leur présence, associée à un taux de mutations très élevé, explique l’émergence des nombreux variants antigéniques isolés sur le terrain, leur persistance chez les chats vaccinés (variants échappant à la réponse immunitaire générée par la vaccination) et parfois la circulation simultanée de plusieurs variants dans un effectif de chats.
A température ambiante, le calicivirus peut résister plus d’une semaine dans le milieu extérieur, surtout si ce dernier est humide.

Epidémiologie

Malgré l’isolement possible de souches proches chez le chien, le chat doit être considéré comme le réservoir du calicivirus félin. Ce rôle de réservoir est favorisé par la fréquence élevée de portage chronique (cf. Pathogénie), y compris chez les animaux vaccinés.
Le virus est principalement excrété par la salive et les sécrétions nasales et oculaires. Les urines et les féces peuvent aussi être contaminantes.
Le mode de transmission classique du calicivirus est un contact direct, de nez à nez. 

Cependant, comme le virus peut persister dans l’environnement, une transmission indirecte est possible par l’intermédiaire des locaux, du matériel (gamelles…) et des personnes manipulant les animaux.

Pathogénie

La période d’incubation est variable et semble dépendre des souches de calicivirus. 

Elle est en général de 3 à 4 jours mais peut atteindre 15 jours. Après contamination oro-nasale, une première réplication virale a lieu au niveau de l’épithélium des amygdales, de l’oropharynx et du tractus respiratoire supérieur. Une virémie transitoire est ensuite observée. Les sites secondaires de réplication sont constitués essentiellement par les cellules épithéliales de la conjonctive, de la langue, du palais et des muqueuses nasales, mais le virus peut être aussi isolé dans des tissus variés (poumons, reins, articulations, cervelet… ). Les lésions épithéliales (vésicules, ulcères) sont liées à son action nécrotique.
Selon la souche virale, l’infection peut demeurer inapparente ou provoquer une maladie plus ou moins grave. Des mutants hypervirulents (souche FCV-Ari) capables de provoquer une maladie systémique grave ont été isolés.
Après infection, les chats peuvent excréter le virus pendant 4 à 10 semaines. Une partie d’entre eux (15-20%) deviennent porteurs asymptomatiques, le virus continuant à se multiplier dans l’épithélium des amygdales. Ces porteurs chroniques peuvent excréter le virus durant toute leur vie. Les mécanismes permettant au virus de se maintenir dans l’organisme à long terme, bien que méconnus, semblent liés au degré élevé de variations antigéniques et à une action de sélection sur les régions immuno-dominantes de la protéine de capside.
L’infection endémique d’une colonie de chats peut ainsi favoriser la diversité antigénique et même parfois l’émergence de nouvelles souches plus agressives.

Signes cliniques

L’infection peut être inapparente ou induire divers syndromes d’évolution aiguë ou chronique. La maladie est plus grave chez les chatons.

Syndrome coryza

Le calicivirus félin est incriminé dans au moins 40% des cas de coryza. Dans sa forme aiguë, la maladie débute par une hyperthermie éventuellement associée à une anorexie et de l’abattement. L’inflammation des voies respiratoires supérieures muco-purulent. Des ulcérations glossopharyngées (associées à un ptyalisme) et nasales, de même qu’une gingivite, peuvent compléter le tableau clinique. Certains chatons peuvent enfin présenter une diarrhée. Les lésions cicatrisent habituellement en une quinzaine de jours.

Pneumonie

Certaines souches hypervirulentes peuvent provoquer une pneumonie aiguë évoluant en pneumonie interstitielle proliférative, souvent mortelle.

Boiterie

Le calicivirus peut être isolé du liquide articulaire chez des chatons souffrant d’arthrite à la suite d’une infection aiguë.

Gingivo-stomatite chronique

Une gingivo-stomatite chronique caractérisée par le développement de lésions prolifératives de type ulcéreux est fréquemment associée à l’infection persistante des animaux. Il semblerait que le calicivirus ne soit pas seul responsable mais il est néanmoins isolé dans plus de 90% de ces cas. Parmi les éléments favorisants sont aussi citées les affections du système immunitaire, comme par exemple les infections concomitantes par le virus leucémogène félin ou celui de l’immunodéficience féline. 

Bartonella henselae, l’agent de la maladie des griffes du chat, pourrait aussi avoir sa part de responsabilité. Des anomalies systémiques, comme de l’urémie ou du diabète sucré peuvent également être associées.
La douleur intense empêche le chat de s’alimenter et de se toiletter correctement. Il sera donc amaigri, avec un pelage sale, de l’halitose et parfois des saignements buccaux spontanés. Les ulcères sont essentiellement localisés aux arcs palatoglosses. De la
gingivite, des résorptions et de la mobilité dentaires sont également observées.

Syndrome virulent systémique

Décrit pour la première fois en Californie et identifié également en Grande-Bretagne, ce syndrome est associé à l’infection des chats par des mutants hypervirulents du calicivirus félin. La maladie est très contagieuse et la mortalité élevée. D’évolution aiguë, elle se caractérise par une fièvre importante, un cedème de la face et des les animaux. extrémités des pattes, un ictère, et parfois un syndrome hémorragique. Ces manifestations sont associées ou non aux symptômes classiques de la calicivirose.

Autres formes

Le calicivirus félin a été incriminé sporadiquement dans des cas de gastro-entérite chronique, d’encéphalite et d’avortement.

Lésions

Les lésions sont directement liées aux formes cliniques observées. Dans la grande majorité (coryza), il s’agit d’ulcères dans la cavité buccale, sur la langue et le palais, qui peuvent saigner spontanément.

Diagnostic

Clinique

Seules les formes de coryza associées à des ulcères buccaux sont assez caractéristiques de l’infection par le calicivirus félin. Les autres formes nécessitent un recours au diagnostic expérimental.

Examens complémentaires au cabinet

Il n’y a pas pour l’instant de kit de diagnostic rapide pour la calicivirose féline. 
Dans le cas du complexe gingivite-stomatite chronique félin, la radiographie permet de mettre en évidence la lyse osseuse et dentaire.

Diagnostic de laboratoire

Traitement

Vu la contagiosité des calicivirus, tout chat présentant des signes cliniques évocateurs doit impérativement être isolé.
La radiographie permet d’évaluer le degré de résorption osseuse et dentaire dans le cadre du complexe gingivite-stomatite chronique félin. Les exérèses dentaires font partie du traitement de routine de cette affection. Elles doivent être réalisées avec minutie afin de ne pas laisser en place les racines.
Lorsque les symptômes sont graves, en particulier chez le chaton, la priorité est donnée aux soins intensifs. Ils visent à réhydrater et alimenter l’animal, parfois après la mise en place d’une sonde naso-gastrique. Les aliments proposés doivent être appétents et faciles à avaler (privilégier les aliments liquides hyperprotéiques tels que le a/d ND ou le Fortol ND).
L’antibiothérapie destinée à limiter les surinfections bactériennes peut faire appel à l’ampicilline chez le chaton, aux tétracyclines, à la clindamycine ou à la combinais amoxicilline -acide clavulanique chez l’adulte. Les inhalations en cage l’aérosolthérapie (ou plus simplement en mettant le panier du chat dans un grand sac) sont bénéfiques.

Les mélanges associent en général un antibiotique (gentamicine ou kanamycine), un mucolytique (acétyl cystéine), un bronchodilatateur (théophylline) et un corticoïde.
Si des traitements par voie générale sont administrés, il faut privilégier la voie injectable.

A défaut, l’utilisation de formes liquides est préférable aux comprimés ou gélules.

Il est très important de prendre en compte la douleur subie par les chats atteints. L’utilisation de corticoïdes est controversée car elle peut aggraver le déficit immunitaire du chat. Ils semblent cependant contrôler mieux ce type de douleur que les anti-inflammatoires.
Les antiviraux sont décevants. Les données sur l’utilisation de l’interferon ne permettent pas de conclure , à l’heure actuelle, sur son utilité dans ce contexte. 

Prévention

Mesures hygiéniques

L’infection chronique par le calicivirus félin est enzootique dans de nombreuses collectivités félines (refuges… ). 
Eviter la contamination d’une colonie indemne implique une quarantaine associée à un contrôle strict des chats qui y sont introduits.
Il est conseillé de procéder à des prélèvements oropharyngés réguliers (2 fois par semaine pendant toute la quarantaine de 3-4 semaines) à l’aide de cytobrosses. Un test PCR positif justifie un isolement temporaire ; 2 tests positifs à 1 mois d’intervalle peuvent justifier l’éviction ou un isolement permanent. Dans tous les cas, aucun contact (direct ou indirect) ne doit être autorisé entre cet individu et les chatons âgés de moins de 3 mois.

Les chattes gestantes doivent être isolées du reste de la collectivité 3-4 semaines avant la date du terme.
La désinfection, après nettoyage, peut faire appel à des solutions d’hypochlorite de sodium (eau de javel).

Vaccination

La vaccination contre la calicivirose féline est réalisable à l’aide de vaccins à virus inactivés ou à virus attenués, les deux disposant d’amm. peut être utile pour prévenir la maladie aiguë ou réduire les signes cliniques, elle n’empêche ni l’infection des chats, ni l’excrétion virale, ni l’installation d’une infection chronique. Certaines souches vaccinales atténuées, en particulier lorsqu’elles sont administrées par voie locale, peuvent provoquer des symptômes locaux modérés et certaines publications font état de l’infection chronique de colonies félines par des variants mineurs dérivant d’une souche vaccinale vivante utilisée sur les animaux quelques mois auparavant.
Des échecs vaccinaux peuvent être consécutifs à l’infection des chats par un variant éloigné d’un point de vue antigénique de la souche vaccinale utilisée. Des cas de syndrome virulents systémique dus à la souche hypervirulente FCV-Ari ont d’ailleurs été observés sur des animaux vaccinés. Ces données soulignent donc l’importance de la mise à jour régulière des souches vaccinales, et il a même été démontré que l’association de 2 souches complémentaires sur un plan antigénique pouvait permettre d’augmenter l’efficacité d’un vaccin.
La valence calicivirus fait partie des 3 valences recommandées dans les protocoles de vaccination féline, quelle que soit l’épidémiologie, et qui sont la calicivirose, l’herpès virose et la panleucopénie. 

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